22
Le dragon des ténèbres

 

 

Au cœur des niveaux les plus bas, dans une immense caverne aux parois accidentées et tourmentées où se tapissaient des ombres profondes, et au plafond trop haut pour que la lueur du feu le plus intense puisse l’atteindre, trônait le présent souverain de Castelmithral, perché sur un piédestal fait du mithral le plus pur, élevé sur un empilement haut et large de pièces et de bijoux, de timbales et d’armes, et d’innombrables autres objets façonnés à partir de blocs de mithral par les mains habiles d’artisans nains.

Des formes sombres entouraient le monstre primitif, d’énormes chiens venus de son monde, soumis, traversant les siècles, et avides de chair humaine ou elfique, ou de tout ce qui leur donnerait le plaisir de s’adonner à leur sanglant sport avant de tuer.

Pour l’heure, Ombreflet n’était pas heureux. Des grondements venus d’en haut indiquaient des intrus, et un groupe de duergars avaient parlé de membres de leur clan tués dans les tunnels, et des rumeurs couraient qu’un elfe drow avait été vu.

Le dragon n’était pas de ce monde. Il était venu du plan des Ombres, une image sombre du monde de la lumière, inconnu des habitants ici, si ce n’est dans leurs cauchemars les plus noirs, qui n’avaient guère de substance. Ombreflet avait occupé un rang extrêmement haut là-bas, vieux déjà à cette époque-là, et hautement respecté parmi sa race de dragons qui gouvernait le plan. Mais lorsque les ridicules et cupides nains qui avaient un jour habité dans ces mines avaient creusé dans des trous profonds suffisamment noirs pour ouvrir un portail sur son plan, le dragon l’avait vite traversé. Possédant maintenant un trésor dix fois plus important que le plus grand trésor de son propre plan, Ombreflet n’avait nullement l’intention de revenir.

Il s’occuperait des intrus.

Pour la première fois depuis la débâcle du clan Marteaudeguerre, les aboiements des molosses des ombres remplirent les tunnels, remplissant d’effroi même les cœurs de leurs dresseurs de nains gris. Le dragon les envoya en direction de l’ouest pour leur mission, en montant vers les tunnels, contournant le hall d’entrée dans la vallée du Gardien, où les compagnons étaient entrés pour la première fois dans Castelmithral. Avec leurs puissantes mâchoires et leur extraordinaire capacité de se déplacer sans bruit, les molosses représentaient vraiment une force meurtrière, mais leur mission n’était pas d’attraper et de tuer – seulement de rassembler.

Lors de la première bataille pour Castelmithral, Ombreflet seul avait forcé les mineurs dans les cavernes inférieures et dans quelques-unes des immenses chambres à l’extrémité la plus à l’est du niveau supérieur. Mais la victoire finale avait échappé au dragon, car le dénouement avait eu lieu dans les corridors situés à l’ouest, trop étroits pour son grand corps écailleux.

La gloire absolue n’échapperait pas une nouvelle fois au monstre. Il dépêcha ses sbires pour qu’ils forcent ceux qui avaient pénétré dans les halls en direction de la seule entrée qu’il y ait aux niveaux supérieurs : le Défilé de Garumn.

Ombreflet s’étira le plus haut qu’il put et déplia ses ailes parcheminées pour la première fois en deux cents ans, les ténèbres se coulant sous elles tandis qu’elles se déployaient sur les côtés. Les duergars qui étaient restés dans la salle du trône tombèrent à genoux à la vue de leur seigneur qui se levait, par respect, mais surtout par peur.

Le dragon n’était plus là. Il parcourait en planant un tunnel secret situé au fond de la chambre, et se rendait où il avait un jour connu son heure de gloire, l’endroit que ses sbires avaient nommé le Ravin d’Ombreflet pour louer leur seigneur.

Semblable à une masse indistincte de ténèbres, il se déplaçait aussi silencieusement que le nuage de ténèbres qui le suivait.

 

***

 

Wulfgar commençait à se demander avec inquiétude à quel point il devrait se baisser, et même s’accroupir lorsqu’ils arriveraient au Défilé de Garumn, car les tunnels devinrent à l’échelle des nains au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient de l’extrémité est du niveau supérieur. Bruenor savait que c’était bon signe, les seuls tunnels avec des plafonds de moins d’un mètre quatre-vingts étaient ceux des mines les plus profondes et ceux creusés en vue de défendre le défilé.

Avançant plus vite que Bruenor l’espérait, ils arrivèrent devant la porte dérobée d’un tunnel plus petit qui partait sur la gauche, un endroit que le nain connaissait bien, même après deux cents ans d’absence. Il passa la main sur la paroi lisse sous la torche et son applique rouge révélatrice, cherchant le motif en relief qui guiderait ses doigts à l’endroit précis recherché. Il trouva un triangle, puis un autre, et suivit leurs lignes jusqu’au point central, le point le plus au fond dans la vallée entre les pics des montagnes jumelles qu’ils représentaient, le symbole de Dumathoïn, le Gardien des Secrets sous la Montagne. Bruenor poussa d’un doigt seulement et la paroi disparut, ouvrant encore un autre tunnel bas de plafond. Celui-ci n’était pas éclairé, mais un son creux, comme le vent sur la face d’un roc, les accueillit.

Bruenor leur fit un clin d’œil de connivence et s’engagea sans tarder dans le tunnel, mais ralentit lorsqu’il vit les runes et les bas-reliefs sculptés sur les parois. Tout le long du passage, sur chaque surface, les artisans nains avaient laissé leur marque. Un sentiment de fierté envahit Bruenor, en dépit de sa morosité, lorsqu’il vit les expressions admiratives sur les visages de ses amis.

Un peu plus loin, ils tombèrent devant une herse, baissée et rouillée, et au-delà ils découvrirent l’immensité d’une autre énorme caverne.

— Le Défilé de Garumn, proclama Bruenor, et il s’approcha des barreaux de fer. On dit qu’une torche jetée du rebord brûl’ra complètement avant de toucher le fond.

Quatre paires d’yeux émerveillés regardèrent à travers le portail. Si la traversée de Castelmithral les avait déçus car ils n’avaient pas encore vu les endroits plus grandioses dont Bruenor leur avait souvent parlé, le spectacle qui s’offrait à eux compensait largement les choses. Ils étaient arrivés au Défilé de Garumn, bien que l’endroit fasse plutôt penser à un grand canyon qu’à une gorge, large de plusieurs centaines de mètres et s’étendant à perte de vue. Ils se trouvaient au-dessus du sol de la chambre, un escalier partant sur la droite, de l’autre côté de la herse. Faisant de gros efforts pour essayer de passer leurs têtes à travers les barreaux, ils pouvaient distinguer la lueur venant d’une autre pièce en bas des marches, et clairement entendre le vacarme que faisaient plusieurs duergars.

Sur la gauche, la paroi décrivait un arc autour du rebord, bien que le précipice se prolonge au-delà de la paroi bordant la caverne. Un pont unique enjambait le vide, un séculaire ouvrage de pierre si parfaitement élaboré que son arche ténue pouvait encore supporter une armée des plus grands géants des montagnes.

Bruenor étudia le pont avec attention, remarquant que quelque chose n’était pas tout à fait comme il fallait dans la structure inférieure. Il suivit la ligne d’un câble traversant le précipice, pensant qu’il continuait sous le sol en pierre pour se connecter à un large levier sortant d’une plate-forme plus récemment construite, de l’autre côté. Deux sentinelles duergars faisaient les cent pas autour du levier, leur attitude relâchée semblait trahir un ennui profond.

— Ils ont piégé l’truc pour qu’il s’effondre ! grogna Bruenor.

Les autres comprirent tout de suite ce qu’il voulait dire.

— Y a-t-il un aut’ moyen d’traverser, alors ? demanda Catti-Brie.

— Ouais, répliqua le nain. Une corniche vers l’extrémité sud du défilé. Mais à des heures de marche, et le seul moyen d’s’y rendre, c’est en traversant cette caverne !

Wulfgar saisit les barreaux en fer de la herse et éprouva leur résistance. Ils tenaient bon, comme il s’en doutait.

— Nous ne pourrions pas passer à travers ces barreaux de toute façon, remarqua-t-il. Sauf si tu sais où nous pourrions trouver la manivelle qui nous permettra de remonter la herse.

— Une demi-journée de marche, répliqua Bruenor, comme si la réponse, d’une logique implacable pour un nain protégeant ses trésors, aurait dû s’imposer. De l’aut’ côté.

— Pas très serein, ce peuple, marmonna Régis.

Entendant la remarque, Bruenor gronda et saisit Régis par le col, le soulevant du sol et pressant son visage contre le sien.

— Mon peuple est prudent, dit-il avec hargne, sa propre frustration et confusion explosant de nouveau en un accès de rage injuste. On aime protéger ce qui est à nous, surtout de p’tits voleurs qu’ont des p’tits doigts et de grandes gueules.

— Pour sûr qu’y doit y avoir un aut’ chemin possible, intervint Catti-Brie, essayant de désamorcer la confrontation.

Bruenor lâcha le halfelin.

— On peut s’ rendre dans cette pièce, répliqua-t-il, indiquant la zone éclairée au bas des marches.

— Faisons vite alors, supplia Catti-Brie. Si le bruit de l’effondrement a donné l’alarme, ils ne sont peut-être pas encore au courant ici.

Bruenor leur fit promptement reprendre le petit tunnel et retourner dans le corridor qui se trouvait derrière la porte dérobée.

Au tournant suivant du corridor principal, les parois étaient elles aussi recouvertes de runes et de bas-reliefs sculptés par des artisans nains, et Bruenor fut de nouveau saisi d’émerveillement par son héritage et il oublia bientôt toute sa colère à l’égard de Régis. Il entendit de nouveau résonner dans sa tête les marteaux de l’époque de Garumn, et les chansons des assemblées communes. Si l’abjection qu’ils avaient trouvée ici et la perte de Drizzt avaient atténué l’ardeur de son désir de revendiquer Castelmithral, les souvenirs frappants qui l’assaillaient tandis qu’il parcourait ce corridor ranimaient en lui le feu.

Il reviendrait peut-être avec son armée, se disait-il. Peut-être que le mithral résonnerait de nouveau dans les forges du clan Marteaudeguerre.

Les pensées de retrouver la gloire de son peuple soudain ranimées, Bruenor regarda ses compagnons, fatigués, affamés et pleurant le drow, et se rappela à lui-même que sa mission, pour l’heure, était de fuir les mines et de les mener en lieu sûr.

Une lueur plus intense devant eux indiquait la fin du tunnel. Bruenor ralentit et s’avança précautionneusement vers la sortie. Les compagnons se trouvèrent de nouveau sur un balcon de pierre, dominant encore un autre corridor, et un immense passage, une chambre presque en soi, doté d’un haut plafond et de parois décorées. Des torches brûlaient tous les quelques mètres des deux côtés, et le même schéma se retrouvait sous eux avec des torches brûlant parallèlement.

Une boule se forma dans la gorge de Bruenor lorsqu’il regarda de plus près les ciselures tapissant la paroi opposée, de superbes bas-reliefs représentant Garumn et Bangor, et tous les patriarches du clan Marteaudeguerre. Il se demanda, et ce n’était pas la première fois, si son propre buste aurait un jour sa place à côté de celui de ses ancêtres.

— Entre cinq et dix, j’ dirais, murmura Catti-Brie, davantage concentrée sur la clameur qui s’échappait d’une porte légèrement entrouverte un peu plus loin sur la gauche, la pièce qu’ils avaient remarquée depuis leur perchoir dans la chambre du défilé. Les compagnons se trouvaient à six mètres au-dessus du sol du plus grand corridor. Sur la droite, un escalier y menait, et au-delà le tunnel qui ramenait vers les grandes salles partait en serpentant.

— Des pièces adjacentes où d’autres se cachent peut-être ? demanda Wulfgar à Bruenor.

Le nain secoua la tête.

— Il y a une antichambre et une seule, répondit-il. Mais d’autres pièces se trouvent au sein de la caverne du Défilé de Garumn. On sait pas si elles sont remplies de gris ou pas. Mais ne nous inquiétons pas d’eux. Faut qu’on traverse cette pièce et qu’on passe par la porte de l’autre côté pour arriver au défilé.

Wulfgar frappa son marteau contre sa main.

— Alors, allons-y, gronda-t-il, et il commença à descendre l’escalier.

— Et les deux qui se trouvent de l’autre côté, une fois la caverne traversée ? demanda Régis, restant toujours le même guerrier timoré.

— Y f’ront tomber le pont avant qu’on arrive même au défilé, ajouta Catti-Brie.

Bruenor se gratta la barbe, puis regarda sa fille.

— Tu tires bien ? demanda-t-il.

Catti-Brie tint l’arc magique devant elle.

— Suffisamment bien pour pouvoir abattre deux sentinelles ! répondit-elle.

— R’tourne à l’autre tunnel, dit Bruenor. Au premier geste hostile, tu les abats. Et fais vit’, fillette ; ces pleutres f’ront tomber le pont aux premiers signes de grabuge !

Acquiesçant d’un signe de tête, elle partit. Wulfgar la regarda redescendre le corridor, puis disparaître, plus aussi résolu au combat maintenant, sans savoir si Catti-Brie serait à l’abri du danger derrière lui.

— Et si les gris ont du renfort pas loin ? demanda-t-il à Bruenor. Qu’est-ce que fera Catti-Brie ? Elle sera bloquée et ne pourra pas nous rejoindre.

— Arrête tes jérémiades, garçon ! s’exclama Bruenor d’un ton cassant, tout aussi contrarié par sa décision de se scinder en deux groupes. Ton cœur bat pour elle, j’crois bien, même si tu n’te l’avoues pas à toi-même. Mets-toi bien en tête que Cat est une guerrière, que j’ai moi-même entraînée. L’autre tunnel est sûr, d’après tout ce que j’ai pu observer, les gris ne connaissent pas son existence. La fille sait se battre et se débrouiller ! Alors, concentre-toi sur le combat qu’on va disputer. C’que tu peux faire de mieux, c’est finir ces chiens barbus gris le plus vit’ possible, avant que leurs sales associés rappliquent !

Cela lui coûta un effort, mais Wulfgar détourna les yeux du corridor et les fixa sur la porte ouverte sous eux, se préparant à la tâche qui les attendait.

Désormais seule, Catti-Brie parcourut rapidement et sans faire de bruit la courte distance qui la séparait de la porte dérobée, puis disparut derrière.

— Attends ! ordonna Sydney à Bok, et elle aussi se figea, sentant que quelqu’un était juste devant. Elle s’avança précautionneusement, le golem sur ses talons, et jeta un œil en arrivant au tournant suivant du tunnel, s’attendant à constater qu’elle avait rattrapé les compagnons. Un corridor vide s’offrait à sa vue.

La porte dérobée s’était refermée.

 

***

 

Wulfgar respira un grand coup et évalua la situation. Si l’estimation de Catti-Brie était exacte, lui et Bruenor seraient plusieurs fois surpassés en nombre lorsqu’ils feraient irruption dans la pièce. Il savait qu’ils n’avaient pas d’autre solution. Prenant une nouvelle inspiration profonde pour affûter sa concentration, il reprit sa descente de l’escalier, Bruenor lui emboîtant le pas et Régis fermant la marche avec hésitation.

Les longues enjambées du barbare ne ralentirent pas, ne s’écartèrent pas du chemin le plus direct vers la porte, et pourtant les premiers sons qu’ils entendirent ne furent pas les coups sourds de Crocs de l’égide ou le cri de guerre habituel du barbare en l’honneur de Tempus, mais le chant de bataille de Bruenor Marteaudeguerre.

C’était sa patrie, son combat, et le nain plaçait toute la responsabilité de la sécurité de ses amis sur ses épaules. Il dépassa Wulfgar à toute allure lorsqu’ils furent au pied de l’escalier et se rua dans la pièce, la hache en mithral de son héroïque ancêtre dont il portait le nom levée devant lui.

— Çui-ci est pour mon père ! cria-t-il, fendant le casque brillant du duergar le plus proche d’un simple coup. Çui-là est pour le père de mon père ! hurla-t-il, abattant le second. Et çui-là est pour le père du père de mon père !

La lignée de Bruenor était longue. Les nains gris n’eurent aucune chance.

Wulfgar avait lancé son attaque dès qu’il s’était rendu compte que Bruenor le dépassait en courant, mais lorsqu’il arriva à son tour dans la pièce, trois duergars gisaient à terre, morts, et Bruenor, déchaîné, était sur le point d’abattre le quatrième. Six autres se bousculaient, essayant de reprendre leurs esprits après l’assaut sauvage, et tentant surtout de sortir par l’autre porte pour rejoindre la caverne du défilé où ils pourraient se regrouper. Wulfgar lança Crocs de l’égide et en abattit un autre, et Bruenor sauta sur sa cinquième victime avant que le nain gris ait eu le temps de sortir.

De l’autre côté du défilé, les deux sentinelles entendirent le bruit de la bataille au même moment que Catti-Brie, mais ne comprenant pas ce qui se passait, ils hésitèrent.

Catti-Brie, elle, n’hésita pas.

Une traînée d’argent fendit l’air, traversa le précipice, et explosa dans la poitrine de l’une des sentinelles, son pouvoir magique pulvérisant son armure de mithral et le jetant violemment en arrière, mort.

Le second plongea immédiatement vers le levier, mais Catti-Brie acheva froidement sa mission. La seconde flèche fendit l’air et se ficha dans l’œil du nain.

Les nains mis en déroute dans la chambre plus bas sortirent en grand nombre dans la caverne qui se trouvait sous elle, et d’autres faisant irruption d’autres pièces situées au-delà de la première les rejoignirent. Wulfgar et Bruenor allaient bientôt surgir eux aussi, Catti-Brie le savait, en plein milieu d’une horde prête à l’attaque !

Ce que Bruenor avait dit de Catti-Brie était tout à fait juste. Elle était une guerrière et autant décidée à tenter sa chance que n’importe quel autre guerrier. Elle enfouit les craintes qu’elle pouvait avoir pour ses amis et se mit en position de façon à pouvoir les aider du mieux possible. Le regard résolu, les dents serrées, elle saisit Taulmaril et lança une attaque mortelle sur la horde en train de se rassembler, provoquant un chaos indescriptible et un affolement général, beaucoup essayant désespérément de se soustraire à l’assaut.

Bruenor sortit en rugissant, couvert de sang, sa hache de mithral rouge du sang de ses victimes, et avec encore cent arrière-arrière-arrière-grands-parents à venger. Wulfgar était juste derrière lui, investi d’une rage meurtrière, chantant les louanges de son dieu de la guerre, et frappant méthodiquement ses ennemis de plus petite taille à droite et à gauche aussi facilement qu’il aurait fauché des fougères le long d’un sentier de forêt.

Le déluge de flèches de Catti-Brie ne ralentit pas, flèche meurtrière après flèche meurtrière fendait les airs et elles atteignaient leur cible. La guerrière qu’elle portait en elle l’avait totalement investie et ses actions restaient en marge de sa conscience. Elle saisissait les flèches méthodiquement, et le carquois magique d’Anariel n’était jamais vide. Taulmaril jouait sa propre chanson et dans le sillage de ses notes gisaient les corps foudroyés de nombreux duergars.

Régis resta à l’écart pendant toute la durée du combat, sachant qu’il gênerait plus qu’il aiderait ses amis au sein de la bagarre principale, un corps de plus pour eux à protéger alors qu’ils avaient déjà fort à faire pour se protéger eux-mêmes. Il constata que Bruenor et Wulfgar avaient pris dès le début un avantage suffisant pour clamer victoire, même face aux nombreux ennemis qui avaient surgi dans la caverne pour les affronter ; aussi Régis veilla-t-il à ce que les adversaires qui étaient tombés dans la pièce soient vraiment morts et ne risquent pas de les surprendre par-derrière.

Et aussi pour s’assurer que les objets de valeur que ces nains gris avaient en leur possession ne soient pas perdus sur des cadavres.

Il entendit le pas lourd de bottes derrière lui. Il plongea sur le côté et roula dans un coin juste au moment ou Bok fracassait la porte et entrait dans la pièce, sans remarquer sa présence. Lorsque Régis eut retrouvé sa voix, il s’apprêta à lancer un cri d’avertissement à ses amis.

C’est alors que Sydney entra dans la pièce.

 

***

 

Deux nains à la fois tombaient sous les coups du marteau de Wulfgar. Aiguillonné par les bribes des cris de bataille du nain qu’il saisissait, « … pour le père de mon père de mon père de mon père de mon père de mon père de mon père… », un sourire sinistre se dessinait sur le visage de Wulfgar tandis qu’il traversait les rangs désorganisés des nains. Des flèches traçaient de brûlantes traînées argentées, sifflant à ses oreilles, cherchant leurs victimes, mais il avait suffisamment confiance en Catti-Brie pour ne pas redouter un tir égaré. Ses muscles se tendirent, assenant encore un autre coup magistral, l’armure brillante du duergar n’offrant même pas de protection contre sa force brutale et absolue.

C’est alors que des bras plus forts que les siens le saisirent par-derrière.

Les quelques duergars qu’il avait encore devant lui n’identifièrent pas Bok comme un allié. Ils s’enfuirent en hurlant de terreur en direction du pont qui enjambait le précipice, espérant le traverser et détruire derrière eux la voie afin de mettre fin à toute poursuite.

Catti-Brie les foudroya de ses flèches.

 

***

 

Régis s’abstint de tout mouvement brusque, connaissant le pouvoir de Sydney depuis leur affrontement dans la pièce ovale. Son éclair d’énergie avait mis à terre Bruenor et Wulfgar ; le halfelin trembla en pensant à ce qu’il pouvait lui faire.

Sa seule chance était le pendentif de rubis, pensa-t-il. S’il pouvait saisir Sydney dans son sort hypnotisant, il pourrait peut-être la retenir suffisamment longtemps pour donner à ses amis le temps de revenir. Il déplaça doucement sa main pour la mettre sous sa veste, les yeux rivés sur la magicienne, guettant les signes avant-coureurs d’un éclair meurtrier.

La baguette de Sydney ne quittait pas sa ceinture. Elle avait imaginé une ruse bien à elle pour le halfelin. Elle marmonna de rapides incantations, puis ouvrit la main en direction de Régis et souffla doucement, lançant un fil léger vers lui.

Régis comprit la nature du sort lorsque l’air tout autour de lui fut soudain saturé de toiles qui flottaient – des toiles poisseuses d’araignée. Elles se collèrent partout sur lui, ralentissant ses mouvements, et remplirent toute la zone qui l’entourait. Il avait la main autour du pendentif magique, mais la toile l’emprisonnait complètement.

Contente d’avoir pu faire usage de son pouvoir, Sydney se tourna vers la porte et la bataille qui se disputait juste derrière. Elle préférait faire appel aux pouvoirs qu’elle détenait, mais comprenait aussi la force de ces autres ennemis. Elle sortit donc sa baguette.

 

***

 

Bruenor acheva le dernier des nains gris qui lui faisait face. Il avait pris beaucoup de coups, certains assez sérieux, et une bonne partie du sang qui le couvrait était le sien. La rage qui l’habitait, nourrie pendant des siècles, le rendait insensible à la douleur. Il avait étanché sa soif de sang maintenant, mais seulement le temps de se retourner vers l’antichambre et de voir Bok soulever Wulfgar haut dans les airs et essayer de lui faire rendre son dernier souffle.

Catti-Brie le vit aussi. Horrifiée, elle essaya de décocher une flèche en direction du golem, mais Wulfgar se débattait désespérément et les combattants chancelaient et trébuchaient beaucoup trop pour qu’elle ose prendre le risque.

— Aide-le, lança-t-elle à Bruenor dans un murmure, car elle ne pouvait rien faire d’autre qu’observer la scène.

La moitié du corps de Wulfgar était engourdie, serrée dans l’étau des bras de Bok, dont la force était inimaginable, don de la magie. Il réussit toutefois à se tortiller de façon à se retrouver face à son adversaire et, plongeant une main dans l’œil du golem, il poussa de toutes ses forces, essayant de détourner de l’attaque une partie de l’énergie du monstre.

Bok ne broncha pas.

Wulfgar abattit Crocs de l’égide sur le visage du monstre, de toute la force qu’il pouvait exercer, compte tenu de l’amplitude limitée de ses mouvements, un coup qui aurait eu raison d’un géant.

Là encore, Bok ne broncha pas.

Les bras continuèrent à serrer inexorablement. Une vague de vertiges étourdit le barbare. Des picotements coururent dans ses doigts, l’engourdissement les saisissant. Son marteau tomba à terre.

Bruenor était presque sur Bok, sa hache brandie et prête à trancher. Mais alors que le nain entrait par la porte ouverte dans l’antichambre, un éclair aveuglant d’énergie fusa vers lui. Il frappa son bouclier, par chance, et fut dévié vers le plafond de la caverne, mais la simple force de l’impact le précipita à terre. Il secoua la tête, stupéfait, et peina à s’asseoir.

Catti-Brie vit l’éclair et se souvint du souffle similaire qui avait projeté à terre Bruenor et Wulfgar lorsqu’ils se trouvaient dans la pièce ovale. Instinctivement, sans la moindre hésitation ou la moindre inquiétude pour sa propre sécurité, elle fonça, courant dans le passage, poussée par l’évidence que, si elle n’arrivait pas à neutraliser la magicienne, ses amis n’avaient aucune chance de s’en sortir.

Bruenor était mieux préparé pour le second éclair. Il vit Sydney lever la baguette vers lui depuis l’antichambre. Il s’aplatit à terre et tendit son bouclier au-dessus de sa tête, face à la magicienne. Il dévia de nouveau le coup, l’énergie s’égarant un peu plus loin, mais Bruenor le sentit s’affaiblir sous le choc et sut qu’il ne pourrait pas résister à un troisième éclair.

L’instinct de survie farouche du barbare ramena son esprit cotonneux qui commençait à sombrer et le concentra de nouveau sur la bataille. Il n’appela pas le marteau, sachant qu’il ne serait pas d’une grande utilité contre le golem et ne pensant de toute façon pas qu’il aurait été en mesure de le tenir. Il fit appel à sa propre force, entourant le cou de Bok de ses énormes bras. Ces muscles se tendirent jusqu’à leurs limites, et même au-delà, au bord de la déchirure, dans une lutte extrême. Il n’arrivait plus à respirer ; Bruenor n’arriverait pas à temps. Il rugit pour oublier la douleur et la peur, grimaça alors que l’engourdissement envahissait tout son corps.

Et tordit de toutes ses forces.

Régis réussit enfin à sortir sa main et le pendentif de sa veste.

— Magicienne, attends ! cria-t-il à Sydney, ne s’attendant pas qu’elle l’écoute, mais espérant seulement la distraire suffisamment longtemps pour qu’elle jette un regard sur la pierre précieuse, et priant pour qu’Entreri ne lui ait pas parlé de son pouvoir hypnotisant.

Une fois encore, la méfiance et les secrets que le groupe maléfique ne partageait pas jouèrent contre eux. Ne connaissant pas le danger que représentait le rubis du halfelin, Sydney lui jeta un regard du coin de l’œil, plus pour vérifier que la toile le tenait toujours étroitement prisonnier que pour écouter les mots qu’il pourrait avoir à dire.

Un scintillement de lumière rouge attira son attention plus qu’elle l’avait escompté, et de longs moments s’écoulèrent avant qu’elle puisse détourner son regard.

Dans le passage principal, Catti-Brie était penchée très en avant et avançait aussi vite qu’elle pouvait. C’est alors qu’elle entendit les aboiements.

Les molosses de l’ombre en chasse envahirent les corridors de leurs cris excités et remplirent Catti-Brie d’effroi. Les chiens étaient loin derrière, mais ses genoux fléchirent, le son surnaturel descendit sur elle, résonnant de paroi en paroi et l’enveloppant dans une confusion qui lui donnait le tournis. Elle serra les dents contre l’assaut et continua. Bruenor avait besoin d’elle, Wulfgar avait besoin d’elle. Elle ne leur ferait pas faux bond.

Elle arriva au balcon et dévala les marches de l’escalier, découvrant que la porte qui menait à l’antichambre était fermée. Maudissant sa malchance, car elle avait espéré décocher une flèche en direction de la magicienne d’une certaine distance, elle mit Taulmaril en bandoulière, tira son épée, et courageusement, aveuglément, chargea.

Unis dans une étreinte meurtrière, Wulfgar et Bok titubaient autour de la caverne, dangereusement proches du précipice par moments. Le barbare mesurait ses muscles à l’œuvre magique de Dendybar. Il n’avait jamais eu à se mesurer à un tel adversaire. Il tirait sauvagement la tête massive de Bok d’avant en arrière, brisant la capacité de résistance du monstre. Puis il se mit à la tourner dans une direction, usant de chaque parcelle de force qu’il lui restait. Il ne se souvenait plus quand il avait pu reprendre son souffle. Il ne savait plus qui il était ni où il se trouvait.

Son opiniâtreté absolue refusait de céder.

Il entendit le craquement d’un os sans savoir s’il s’agissait de sa propre colonne vertébrale ou du cou du golem. Bok ne broncha pas et ne relâcha pas sa prise qui était un véritable étau. La tête tournait maintenant facilement, et Wulfgar, poussé par l’obscurité finale qui commençait à descendre sur lui, tira et tourna dans un dernier sursaut de révolte.

De la peau s’arracha. Ce qui faisait office de sang à la création du mage se déversa sur les bras et la poitrine de Wulfgar, et la tête se détacha du torse. Wulfgar, à sa propre stupéfaction, pensa qu’il avait gagné.

Bok ne broncha pas.

Les effets initiaux des pouvoirs hypnotiques du pendentif en rubis se dissipèrent lorsque la porte s’ouvrit brutalement, mais Régis avait joué son rôle. Lorsque Sydney reconnut le danger qui arrivait sur elle, Catti-Brie était trop près pour qu’elle puisse lancer ses sorts.

Le regard de Sydney se figea en une expression stupéfaite, les yeux écarquillés de protestation confuse. Tous ses rêves et ses projets pour l’avenir s’écroulèrent devant elle à cet instant précis. Elle essaya de crier son refus, certaine que les dieux du destin avaient un rôle plus important pour elle dans leur grand plan pour l’univers, convaincue qu’ils ne laisseraient pas l’étoile éclatante de son pouvoir naissant s’éteindre avant d’avoir montré de quoi elle était capable.

Mais une mince baguette de bois n’a guère de pouvoir face à une lame en métal.

Catti-Brie ne vit rien d’autre que sa cible, ne ressentit rien d’autre à cet instant précis que l’absolue nécessité de son devoir. Son épée brisa la faible baguette et plongea.

Elle regarda Sydney pour la première fois. Le temps sembla se suspendre.

L’expression de Sydney n’avait pas changé, ses yeux, sa bouche toujours ouverts, refusant d’imaginer cette possibilité.

Catti-Brie regarda avec horreur, impuissante, les dernières étincelles d’espoir et d’ambition s’éteindre dans les yeux de Sydney. Du sang chaud coula sur le bras de Catti-Brie. Le dernier souffle de Sydney sembla invraisemblablement fort.

Et Sydney, glissa, tout doucement, de la lame dans le royaume de la mort.

Une frappe unique, brutale, de la hache en mithral trancha l’un des bras de Bok, libérant Wulfgar qui tomba par terre. Il atterrit sur un genou, au bord de l’évanouissement. Ses puissants poumons aspirèrent de grandes goulées d’air revitalisantes.

Sentant clairement la présence du nain, mais sans yeux pour lui permettre de se concentrer sur sa cible, le golem sans tête bondit vers Bruenor, maladroitement, et rata complètement sa cible.

Bruenor ne comprenait pas les forces magiques qui guidaient le monstre ou le conservaient en vie, et il n’avait guère envie de tester ses techniques de combat contre lui. Il vit un autre moyen.

— Viens, espèce d’ignoble moule de crottes d’orque, le nargua-t-il, s’approchant du défilé.

» Prépare ton marteau, garçon, cria-t-il à Wulfgar d’un ton plus sérieux.

Bruenor dut répéter et répéter sa demande, et lorsque Wulfgar commença à l’entendre, Bok avait acculé le nain à l’extrême rebord du précipice.

À moitié conscient de ses actes, Wulfgar découvrit que le marteau était retourné dans sa main.

Bruenor s’arrêta, ses talons ne touchant plus le sol de pierre, un sourire sur son visage qui acceptait la mort. Le golem s’arrêta lui aussi, il semblait comprendre que Bruenor n’avait plus aucun endroit où aller.

Bruenor se jeta à terre au moment où Bok plongea en avant. Crocs de l’égide le frappa dans le dos, le poussant et le faisant basculer par-dessus le nain. Le monstre tomba silencieusement, n’ayant plus d’oreilles pour entendre le bruit de l’air accompagnant sa chute au fond du précipice.

Catti-Brie était toujours debout, immobile, le corps de la magicienne à ses pieds, lorsque Wulfgar et Bruenor entrèrent dans l’antichambre. Les yeux et la bouche de Sydney restaient ouverts, indiquant un refus silencieux, une tentative futile de démentir la flaque de sang qui s’élargissait autour de son corps.

Des traînées de larmes mouillaient le visage de Catti-Brie. Elle avait abattu des gobelins et des nains gris, un ogre et un yéti de la toundra une fois, mais elle n’avait encore jamais tué un être humain. Elle n’avait encore jamais regardé dans des yeux semblables aux siens et vu la lumière les quitter. Elle n’avait encore jamais compris la complexité de sa victime, ni même que la vie qu’elle avait prise existait en dehors du champ de bataille présent.

Wulfgar s’approcha d’elle et la serra dans ses bras, comprenant sa détresse tandis que Bruenor coupait les derniers fils de la toile qui enserrait le halfelin afin de le libérer.

Le nain avait formé Catti-Brie au combat et s’était réjoui de ses victoires contre des orques et des créatures du même acabit, des monstres abjects qui méritaient la mort. Il avait toujours espéré, toutefois, que cette expérience serait épargnée à sa bien-aimée Catti-Brie.

Une fois encore, Castelmithral était une source de souffrance pour ses proches.

Des hurlements lointains résonnèrent, venant de la porte ouverte derrière eux.

Catti-Brie glissa l’épée dans son fourreau, ne pensant même pas à en essuyer le sang, et se ressaisit.

— La poursuite n’est pas finie, déclara-t-elle sans ambages. Il est plus que temps que nous partions.

Elle sortit la première de la pièce, y abandonnant une partie d’elle-même : son innocence.

Les Torrents D'Argent
titlepage.xhtml
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_000.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_001.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_002.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_003.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_004.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_005.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_006.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_007.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_008.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_009.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_010.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_011.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_012.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_013.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_014.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_015.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_016.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_017.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_018.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_019.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_020.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_021.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_022.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_023.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_024.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_025.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_026.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_027.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_028.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_029.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_030.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_031.htm
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-5]Les Torrents d'Argent(Streams of Silver)(1989).French.ebook.AlexandriZ_split_032.htm